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La « découvrabilité programmée »...des géants du Web : L’urgence d’agir pour le rayonnement de nos contenus culturels francophones !

La « découvrabilité programmée »...des géants du Web : L’urgence d’agir pour le rayonnement de nos contenus culturels francophones !

Écrit par
Destiny Tchéhouali
le
12 mars 2019

L’urgence de réglementer pour assurer l’accès aux contenus francophones face aux algorithmes de recommandation des multinationales américaines.

La « découvrabilité programmée »...des géants du Web : L’urgence d’agir pour le rayonnement de nos contenus culturels francophones !

Plusieurs événements importants organisés au cours de ce premier trimestre 2019 témoignent d’une prise de conscience et d’une mobilisation sans précédent des acteurs des industries culturelles et médiatiques canadiennes autour des enjeux liés à l’examen et à la nécessaire adaptation de nos lois en matière de radiodiffusion et de télécommunications au contexte actuel. Parmi ces événements d’intérêt qui ont contribué à faire évoluer la réflexion sur l’impact du numérique, en particulier de l’Internet, sur les cadres législatif et règlementaire de notre écosystème culturel et médiatique, mentionnons :

  1. la Conférence extraordinaire de Montréal sur l’avenir de la diffusion, de la distribution, de la création et de la production francophone à l’ère numérique CEMAD, organisée le 24 janvier à HEC Montréal ;
  2. le Forum Montréal francophone, francophile et créative, organisé les 7 et 8 février par Culture Montréal ;
  3. le 19ème Congrès du Conseil provincial du secteur des communications (CPSC), qui s’est tenu du 8 au 10 février à Orford sur le thème « La troisième vague d’internet – l’interconnexion globale » ; et enfin
  4. le 1er Forum canadien sur la Gouvernance d’Internet, organisé le 27 février dernier à Toronto, par l’Autorité canadienne d’enregistrement Internet (ACEI/CIRA).

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Ayant eu le privilège d’avoir été invité comme conférencier ou intervenant lors de ces événements et de participer à ces débats publics sur les contours d’une nouvelle loi et d’une future réglementation sur l’avenir de la diffusion de nos productions francophones et sur l’encadrement des activités des multinationales du Web (Facebook, Amazon, Apple, Netflix, Google et Spotify...), j’ai souhaité faire œuvre utile en partageant mes réflexions sur un enjeu aussi crucial que celui de la découvrabilité en ligne des contenus francophones. Au moment où le Web fête ses 30 ans (le 12 mars prochain) et que son fondateur, Tim Berners Lee, a lancé en novembre dernier une campagne pour « sauver le Web », ce texte constitue un plaidoyer visant à sensibiliser l’opinion publique sur le rôle des plateformes qui peuvent à la fois être des amis, mais aussi des ennemis de la découvrabilité, capables de mettre en péril la souveraineté culturelle de nos États.

S’il y a bien un trait d’union entre ces différents événements, c’est le fait que les acteurs des différentes industries y ont reconnu et souligné de manière unanime, d’une part, « l’urgence d’agir » : en vue d’établir une équité règlementaire et de réduire des asymétries et déséquilibres face aux multiples transformations engendrées par les gros joueurs du numérique; et d’autre part la nécessité de protéger, de promouvoir et de rendre accessibles et découvrables dans l’environnement numérique les créateurs d’ici et leurs œuvres (en particulier les contenus francophones). Le CRTC est ainsi interpelé dans sa capacité – voire son agilité – à pouvoir modifier, avant même d'achever son examen de la Loi sur la radiodiffusion, certaines règles et dispositions régissant l’accès au marché culturel, la concurrence et la fiscalité des acteurs du numérique, et surtout les activités de diffusion/distribution et de promotion/rayonnement en ligne du contenu canadien.

Lorsqu’on évoque spécifiquement l’enjeu de la découvrabilité, on peut se poser la question : comment nos contenus francophones peuvent-ils exister, demeurer visible (facilement repérables et accessibles), capter l’attention des consommateurs alors qu’ils sont noyés dans un flot de contenus étrangers dominants (anglophones ou d’origine américaine) et se diffusant à travers des flux continus de recommandation algorithmique d’œuvres ?

Alors qu’on pense que notre singularité francophone devrait constituer un atout, notamment dans la bataille de l’attention et dans celle plus grande de la diversité des expressions culturelles et linguistiques sur Internet, cette singularité est perçue dans le langage des machines et des algorithmes comme une faiblesse ou une lacune. La quantité de contenus francophones n’atteint pas une véritable taille critique, susceptible d’entrainer des effets réseaux. Si comme le définit l’Office québécois de langue française (OQLF), la découvrabilité est le « potentiel pour un contenu, un produit ou un service de capter l'attention d'un internaute de manière à lui faire découvrir des contenus autres », alors le potentiel de découvrabilité des contenus francophones est, par défaut, moindre ou insuffisamment intéressant pour remplir les critères algorithmiques d’association relationnelle et sémantique, nécessaires pour actionner les mécanismes de recommandation automatisée d’autres types de contenus similaires, ne serait-ce qu’au regard du critère de la langue d’origine du contenu.

Dans ce contexte, il devient préoccupant d’observer que d’un point de vue de la représentativité de la diversité des identités et des cultures en ligne, l’identité culturelle relationnelle dont on pourrait se prévaloir en tant que francophone appartenant à une communauté internationale d’internautes francophones produisant et consommant des contenus de langue française en ligne, s’effrite et se mue progressivement dans une « identité refuge », minoritaire, menacée, résistante et cherchant à rester visible comme une « goutte d’eau » dans l’immense océan du Web.

Une étude réalisée en juin 2017 par l’Observatoire de la diversité linguistique et culturelle dans l’Internet estime que le français constitue la 4ème langue de l’Internet avec 6,5% de contenus produits, et ceci derrière l’anglais (32%), le chinois (18%) et l’espagnol (8%). Étant donné qu’on dénombre 5,4% d’internautes sur le nombre total d’utilisateurs de l’Internet, on est tenté de penser qu’il y a un très bon ratio de productivité de contenus francophones avec les 6,5% de contenus de langue française. Mais en réalité, le défi que révèlent ces statistiques se situe moins au niveau de la production de contenus francophones qu’au niveau de leur découvrabilité et de leur consommation effective en ligne.

Le problème qui se pose aujourd’hui, avec une certaine acuité, c’est que les plateformes dominantes (Facebook, Amazon, Apple, Netflix, Google/YouTube et Spotify) qui s’imposent comme les nouveaux fournisseurs mondiaux de contenus culturels sont aussi les mêmes qui ont commencé à développer, produire et distribuer leurs propres contenus (exemple des contenus labellisés Netflix Originals)...; et les mêmes qui se constituent en « oligopole de la découvrabilité », avec un pouvoir algorithmique de conception et d’orientation de la consommation culturelle globale.

En somme, lorsque nous traitons de découvrabilité, ce qui importe ce n’est plus uniquement la caractéristique ou le potentiel intrinsèque du contenu à se laisser découvrir ou à faire découvrir des contenus autres. La découvrabilité ne doit plus être envisagée du seul point de vue du résultat d’un processus de rencontre entre l’œuvre et son public ou auditoire. En effet, cette approche de la découvrabilité occulte ou minimise les effets du processus même qui amène le public à décider du choix du contenu ou du produit culturel qu’il doit consommer au détriment d’autres contenus.

Ce que nous cherchons à montrer ici, c’est le fait que le processus de découvrabilité est de plus en plus programmé, c’est-à-dire contrôlé et fortement prédéterminé par les plateformes à travers la combinaison de leur logique éditoriale, de leur système de recommandation personnalisée ainsi que des stratégies commerciales et marketing liées à leurs modèles d’affaires. Cette « découvrabilité programmée » est rendue opératoire grâce au diktat d’un ensemble de critères et de règles algorithmiques, mais aussi de conditions d’usage, de distribution et d’exploitation de contenus auxquels les créateurs, les producteurs sont soumis et auxquels les usagers et abonnés de ces plateformes contribuent (notamment à travers leurs données d’usages qui aident à améliorer la performance et la précision des algorithmes). Avec la « découvrabilité programmée », nous ne sommes plus simplement à l’ère de la recommandation ; nous entrons dans l’ère de la méta-recommandation, c’est-à-dire la recommandation de ce qui doit être prioritairement recommandable.

La découvrabilité programmée a, semble-t-il, ainsi mis un terme aux multiples perspectives que nous offrait la recherche par « heureux hasard » à l’avènement du Web et de la multitude d’hyperliens intuitifs qu’il proposait. Est-il encore vraiment possible aujourd’hui de découvrir un contenu sur le Web par pur effet du hasard, sans qu’il n’y ait eu au préalable aucune recherche ou activité en ligne qui soit en lien avec le contenu découvert ? En réalité, le Web n’est plus un terrain favorable à la logique de « découverte par hasard ». Si hasard il y a, il s’agirait plus de « hasards provoqués », sous l’effet par exemple d’outils payants d’indexation, de référencement et d’optimisation de la visibilité de certains contenus par rapport à d’autres, ou d’un travail minutieux de production ou d’enrichissement des métadonnées des œuvres culturelles au moment de leur création (et avant même leur mise en ligne). À bien y regarder de près, on a plutôt l’impression aujourd’hui que la découverte « impromptue » de nouveaux contenus a toujours un lien avec l’historique et l’agrégation de nos traces de navigation (aussi minimes soient-elles) et de nos usages sur les différentes applications et plateformes numériques qui scrutent à tout instant nos comportements en ligne.

À ce jeu de découvrabilité programmée, les algorithmes de Netflix sont certainement les champions, comme l’illustrent ses récentes stratégies, qui visent à détourner notre attention et à nous orienter plus souvent vers le choix de ses propres créations originales (« Netflix Originals »). Parmi ces stratégies, on peut citer : la taille un peu plus grande et la personnalisation des illustrations de vignettes de contenus originaux, les captivantes bandes-annonces ou vidéos promotionnelles qui se déclenchent automatiquement lorsqu’on survole un contenu, et le nouveau système de notation pour évaluer la pertinence ou non d’un contenu par rapport à nos goûts personnels.

Prenant l’exemple du système de notation, il faudrait souligner qu’avec le remplacement en avril 2017 du système basé sur un classement à 5 étoiles par un nouveau système de clic (avec une icône représentant un pouce en haut pour exprimer que le contenu correspond bien à nos goûts ou un pouce en bas pour exprimer le contraire), Netflix a porté un sérieux coup à la diversité culturelle. Netflix a bien éliminé avec son nouveau système de notation la possibilité de hiérarchiser les contenus en utilisant des degrés de nuances, donnant plus de chances aux contenus les moins populaires. En effet, avec le nouveau système de notation, soit on aime un contenu (pouce en haut) ou on ne l’aime pas (pouce en bas). Ainsi la plateforme ne nous recommandera que les contenus similaires à ceux que nous avons les plus aimés, reléguant systématiquement au fond du catalogue tous les contenus similaires à ceux que nous avons notés avec le pouce en bas. Ces derniers verraient donc leur probabilité ou leurs chances de se faire recommander par les algorithmes de Netflix (principalement l’algorithme qui classe et hiérarchise les contenus par un système de rangées horizontales sur la page d’accueil) totalement réduites, voire quasi-nulles.

Or avec l’ancien système de notation à 5 étoiles, notre appréciation d’un contenu pouvait varier d’une étoile jusqu’à cinq étoiles. Ceci donnait ne serait-ce qu’une petite chance à des contenus que nous n’apprécions que moyennement (par exemple 2 ou 3 étoiles sur cinq) de nous être tout de même recommandés. En l’absence d’étoiles pour des contenus correspondant moyennement à nos goûts, c’est donc à l’algorithme de Netflix que nous laissons le choix de s’essayer (au risque de se tromper) à déterminer parmi des milliers de films et de séries, ceux qui selon leurs propres critères pourraient être pertinents pour nous et correspondre précisément à nos goûts.

Mais quels sont donc ces critères sur lesquelles les plateformes s’appuient pour déterminer la pertinence de contenus de manière personnalisée ? La plateforme accorde-t-elle par exemple vraiment une importance à nos données de géolocalisation, en considérant le fait que nous nous connectons à partir du Québec et que nous nous intéressons plus à des contenus francophones ? Ou au contraire, ce critère est-il moins pertinent pour la plateforme que celui de la popularité des contenus répondant aux tendances du moment, et donc les contenus les plus susceptibles de capter notre attention tout en permettant à la plateforme de répondre à des impératifs commerciaux sur fond de logiques industrielles propres au star-system ?

Les réponses à ces questions ne sont pas évidentes car c’est bien là que plusieurs recherches se butent à la « boîte noire » des algorithmes, à la complexité et l’opacité de leur fonctionnement et à la nature des intentions de leurs concepteurs. À quel point les décisions de recommandation culturelle prises par les algorithmes de Netflix, de YouTube, de Google Play, d’iTunes et de Spotify sont-elles automatisées (sans intervention humaine) ? À Quel point, malgré la finesse de l’algorithme, cela nécessite encore une part importante d’intervention humaine (le travail de certains curateurs de contenus comme Guillaume Moffet qui, en poste chez Spotify à Toronto, essaie d’injecter à longueur de journée du contenu québécois dans les nombreuses listes d’écoutes de la plateforme) ? Et suffit-il pour un artiste ou un contenu (moins connu du grand public) d’être présent dans les listes d’écoutes les plus populaires ou sur les pages d’accueil pour avoir la garantie d’être découvrable et de rejoindre son public ? Sans doute que non. Encore faudrait-il prendre en compte les nombreux calculs informatiques qui, s’appuyant sur l’exploitation de nos données personnelles et de nos données d’usage, permettent d’amplifier le potentiel de découvrabilité d’un contenu en lui faisant emprunter de multiples trajectoires qui le conduiraient toutes inéluctablement vers son public-cible ou un auditoire plus élargi. À partir de là, il serait légitime de se demander à quel point la diffusion culturelle algorithmique induit des biais liés à des manipulations à des fins purement commerciales et allant totalement à l’encontre des principes même de diversité des expressions culturelles ou encore de démocratisation culturelle ? Quand est-ce que ces algorithmes comprendront que pour l’avenir de l’humanité, ils doivent cessés d’enfermer les utilisateurs dans les « bulles de filtres », tout en favorisant la montée en puissance de la pensée unique et l’homogénéisation culturelle façonnée depuis la Silicon Valley ?

De la découvrabilité programmée à la reprogrammation algorithmique de l’offre culturelle de masse, il n’y a qu’un pas : celui de nouvel impérialisme culturel numérique qui transforme l’argument de l’accroissement des choix culturels en une concentration et une standardisation de la consommation culturelle globalisée, s’imposant à nous au détriment de notre curiosité et de notre soif de découverte de nouveaux talents, de nouveaux contenus. En effet, plus il y a de choix et moins nous choisissons. Dès lors, il y a comme un phénomène de lâcher-prise qui s’empare du consommateur au même moment que celui-ci (souvent inconsciemment) passe le relais à la plateforme qui choisit pour lui tout en le maintenant dans l’illusion du libre-arbitre : Aucun algorithme n’est neutre ; surtout pas ceux des GAFAM ou des FAANGS de ce monde. Le principe même de neutralité du Net doit être redéfini pour prendre en compte, au-delà de la dimension technique d’une transmission sans aucune forme de discrimination du contenu d’un bout à l’autre du réseau, la question de la responsabilité des plateformes et des fabricants d’équipements et de terminaux qui usent de différents stratagèmes pour verrouiller les utilisateurs dans leur écosystème d’applications en limitant ainsi nos choix, comme c’est le cas à travers les applications préinstallées ou pré-recommandées sur l’interface ou l’écran d’accueil de nos smartphones et de tous nos dispositifs connectés.

Il serait donc temps de réfléchir à un cadre règlementaire qui orienterait et mettrait ces algorithmes au service de la diversité culturelle, tout en exigeant de la part des plateformes plus de transparence et de reddition de comptes dans les processus de sélection, de hiérarchisation et de recommandation des contenus. Nous en appelons aussi à une règlementation plus intelligente de l’intelligence artificielle, tout en faisant contribuer équitablement les plateformes étrangères à la création, à la valorisation et à la diffusion du contenu local. Il en va de l’avenir du contenu canadien et du contenu francophone dans un monde numérique. Il en va de la survie même de la diversité culturelle et du multilinguisme sur Internet.

Le gouvernement canadien est appelé à jouer un rôle-clé pour faire en sorte que le marché culturel canadien ne devienne pas une simple colonie numérique des entreprises étrangères offrant des services de diffusion et de distribution en ligne qui façonnent notre nouvelle manière d’accéder et de consommer la culture. Ce qui se joue sous nos yeux, c’est que nous laissons ces plateformes décider de l’orientation de notre programmation culturelle, pendant qu’elles prétendent à leur décharge ne faire qu’offrir aux canadiens ce qu’ils veulent bien consommer en matière de produits culturels. On ne peut pas laisser le statut quo ou le laissez-faire au nom de la sacro-sainte loi d’autorégulation du marché. L’autorégulation ne peut plus s’appliquer quand une poignée d’acteurs oligopolistiques dicte ses propres lois en privatisant le Web et tout ce qui y circule et pire, en l’utilisant comme porte d’entrée de notre système culturel dont il prendrait bientôt le contrôle en mettant la main sur la clé de cette porte (que sont les utilisateurs) et en verrouillant la porte derrière eux.

Ces entreprises devraient être contraintes de favoriser à minima la mise en avant et la découvrabilité de contenus canadiens (en particulier des contenus francophones) à travers le respect d’un quota ou d’un seuil de recommandation de nos contenus locaux. Ce sur quoi nous ne devons maintenir une vigilance de tout instant, c’est de s’assurer que nos futures lois et règlements permettent aux Canadiens d’accéder et de consommer en ligne une offre riche et diversifiée de contenus francophones pertinents d’ici, des contenus dans lesquels ils se reconnaissent et dont l’exportation contribuerait également au rayonnement des cultures canadienne et québécoise à l’étranger et dans la Francophonie. Et s’il faudrait pour cela investir l’espace numérique en développant une plateforme numérique francophone, une vitrine culturelle de contenus numériques francophones à l’échelle mondiale, comme le propose le gouvernement (à travers la ministre du tourisme, des Langues officielles et de la Francophonie), le moment est bien opportun pour explorer cette voie, en s’appuyant sur un opérateur culturel de la Francophonie comme TV5.

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