Skip to contentSkip to navigation
Joignez-vous
aux Amis
Information en région : cinquante nuances de transparence

Information en région : cinquante nuances de transparence

Écrit par
Marie-Ève Martel
le
15 septembre 2020

En région, la liberté de presse est parfois restreinte par des élus qui tentent d'empêcher le quatrième pouvoir de couvrir l'actualité municipale. Marie-Ève Martel fait le point sur la situation.

Information en région : cinquante nuances de transparence

Plusieurs représentants municipaux du Québec, insatisfaits de la couverture dont ils ont fait l'objet, empêchent des journalistes et des médias d'information de faire leur travail.

Difficile d’imaginer une mêlée de presse où les maires de grandes villes comme Montréal et Québec ne sont pas entourés d’une horde de journalistes questionnant chacune de leurs décisions. En région, il en va tout autrement, alors que des dizaines, voire des centaines de municipalités sont gérés sans surveillance aucune. Et là où des médias couvrent les affaires municipales se dressent parfois des obstacles à l’exercice de leur travail. Tout dépend des élus en place.

Pour de nombreux élus qui comprennent mal le rôle des journalistes, un média local devrait être celui d’une courroie de transmission, partageant les bons coups du conseil municipal sans les remettre en question. Pour eux, l’administration de la municipalité est une approche qui relève plus du marketing, où il importe de vendre une image positive d’un milieu de vie où tous voudront venir s’établir (et payer des taxes…)

Si un journaliste déroge de cette prérogative en faisant son travail correctement, c’est-à-dire en questionnant les titulaires de charge publique et en exigeant des comptes au nom de ceux qui les ont portés au pouvoir, il est plus souvent qu’autrement perçu comme un empêcheur de tourner en rond, un « ennemi » de la municipalité.

Partout au Québec, des journalistes sont la cible de toute une panoplie d’attaques sournoises.

Ce faisant, de nombreux conseils municipaux sont frileux à l’idée de collaborer avec des journalistes, à qui ils prêtent de sombres intentions. Cette méconnaissance du travail des journalistes est différente d’une municipalité à l’autre et d’une région à l’autre, mais aussi d’un mandat à l’autre, en raison de l’ouverture d’un élu par rapport à son prédécesseur ou à son successeur.

Partout au Québec, des journalistes sont la cible de toute une panoplie d’attaques sournoises, dont plusieurs sont recensées dans le Dossier noir de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec sur l’information municipale,paru en 2010. Cette enquête tenue auprès des membres professionnels de la Fédération avait permis d’établir trois grandes catégories d’entraves à la liberté de presse perpétrées par les Villes : limites dans l’accès à l’information ; mesures d’intimidation verbale, entraves et menaces ; mesures de rétorsion économique. Ces pressions sont encore plus probantes lorsque tous les membres du conseil municipal ou presque sont issus d’une même équipe et où l’opposition est minoritaire, voire absente. Force est d’admettre que dix ans plus tard, la situation ne s’est malheureusement pas vraiment améliorée.

Motus et bouche cousue

Il n’est pas rare que des élus ou des fonctionnaires municipaux communiquent avec la direction de l’information d’un média lorsqu’ils n’ont pas apprécié la couverture journalistique d’un enjeu local.

Dans certains cas, une couverture jugée peu complaisante a mené à des boycotts de la part de certains élus, qui refusent alors de répondre aux questions de certains journalistes ou de donner suite à leurs demandes d’entrevue, retenant même l’information ou en la partageant avec un média concurrent.

Des municipalités abusent des délais pour éviter de répondre à des demandes d’accès à l’information. Elles refusent de dévoiler une information publique sous prétexte qu’ils ne savent pas ce que l’on compte faire avec.

Elles instaurent une omerta en usant de représailles contre des sonneurs d’alerte ou des employés qui ont transmis de l’information à un journaliste, envoyant le message aux autres qu’ils doivent y penser sérieusement avant de faire la même chose.

Dans une démocratie, de tels comportements sont inquiétants. Mais rien n’empêche encore aujourd’hui des titulaires de charge publique d’éluder certaines questions tout en se prétendant l’incarnation de la transparence.

Restez informé(e), rejoignez la liste d'envoi des AMIS

Requis

Vous êtes à deux pas de compléter votre profil.

Requis
Requis
Requis
Requis
Les cordons de la bourse

Il arrive parfois que ces doléances s’accompagnent de menaces ou de représailles, comme le retrait de publicités municipales, qui représentent dans bien des cas une source de financement majeure pour le média qui dispose de peu de moyens.

Jusqu’à ce que la loi 122 soit adoptée en mars 2017, permettant aux municipalités de ne diffuser leurs avis publics que sur leur site Internet, ces avis servaient de monnaie d’échange et de chantage aux élus. Il n’était pas rare de voir des maires menacer un média de retirer ses avis publics (et le budget lié à leur diffusion) pour les offrir à un concurrent dont la couverture déplaisait moins.

Certains patrons de presse monteront aux barricades pour défendre leur journaliste. D’autres plieront plutôt sous la pression, retirant à leur employé leur secteur de couverture pour acheter la paix avec l’administration municipale.

C’est ce qui est arrivé à Stéphane St-Amour, qui couvrait la chose politique à Laval il y a une dizaine d’années. Son reportage traitant des intérêts pécuniaires d’un conseiller municipal, qui n’avait pas déclaré sa participation dans une entreprise de béton, lui avait valu son poste. Le principal intéressé avait contesté les allégations publiées dans l’article et a menacé de poursuivre l’hebdomadaire. En réaction, le journal a publié un nouvel article qui blanchissait M. Fradet. Selon La Presse, la municipalité aurait même demandé à d’autres journalistes de ne pas traiter de contrats soi-disant truqués, sous prétexte que ce n’était pas d’intérêt public ; on avertissait le maire ou ses proches avant la publication des articles les concernant. La direction du journal a toujours nié avoir exercé ces pressions. St-Amour n’a pu regagner son poste qu’en 2014.

En octobre dernier, une journaliste pigiste a cessé de recevoir des commandes de l’hebdomadaire qui lui confiait des contrats depuis une douzaine d’années. Le propriétaire et éditeur du journal Le Point d’Impact, Serge Blondin, s’est en effet présenté chez Monic Provost pour lui dire de ne plus écrire d’articles sur la politique municipale. Son dernier papier traitait du salaire réel du maire de la municipalité de Sainte-Anne-des-Plaines, mais l’éditeur aurait refusé de le publier de peur de perdre les dernières publicités de la ville dans son journal, a allégué la journaliste dans une entrevue accordée au Journal de Montréal.

Plus d’une cinquantaine de municipalités québécoises ont adopté, au cours des quarante dernières années, des règlements encadrant ou interdisant l’enregistrement des séances.

Pas de son, pas d’images

En juin dernier, la municipalité de Sainte-Marthe-sur-le-Lac, en Mauricie, avait résolu d’interdire la captation de sons et d’images par les personnes assistant aux séances du conseil municipal. La Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ) s’est rapidement indignée de la mesure.

Le cas de Sainte-Marthe-sur-le-lac n’est que le plus récent exemple d’une longue liste. En effet, plus d’une cinquantaine de municipalités québécoises ont adopté, au cours des quarante dernières années, des règlements encadrant ou interdisant l’enregistrement des séances. Certains de ces règlements prévoient une exception pour des journalistes, qu’ils soient membres de la FPJQ ou non. Or, compte tenu qu’un journaliste est, à la base, un citoyen comme les autres dont l’emploi consiste à poser les questions aux élus en leur nom, il y a là discrimination flagrante.

Et ces villes ont adopté de tels règlements même si le ministère des Affaires municipales a déjà fait savoir que les moyens technologiques n’étaient pas susceptibles de troubler le décorum des séances. Déjà, un jugement de 1984 rendu à l’encontre de la paroisse de Saint-Sulpice mentionnait qu’une telle mesure a plutôt pour but « d’exercer un certain contrôle sur la diffusion des débats publics. »

En juin 2019, la municipalité de Saint-Édouard-de-Maskinongé a tenu une assemblée de consultation publiqueà laquelle ni les journalistes ni les citoyens n’y résidant pas n’étaient admis. On souhaitait ainsi éviter toute forme « d’intimidation ».

L’argument selon lequel la présence de journalistes intimide des citoyens, alors mal à l’aise de s’exprimer de peur que leurs propos ne soient repris dans les médias, est souvent utilisé pour justifier ces interdictions ou l’expulsion de journalistes qui refusent de s’y conformer.

Les mesures énoncées précédemment sont contraires au caractère public des séances des conseils municipaux stipulé dans la loi. Cela n’a toutefois pas empêché des maires d’aller de l’avant. En novembre 2019, la députée libérale de Verdun, Isabelle Melançon, a déposé le projet de loi 495pour inscrire dans la Loi sur les cités et villes et le Code municipal qu’il est interdit aux élus d’empêcher quiconque ne nuisant pas au décorum d’assister aux séances publiques et d’en capter le son et les images.

Avec la COVID-19, le projet est, comme bien d’autres, tombé dans l’oubli. Qui sait si la prochaine session parlementaire permettra de redonner vie au projet.

Quand la pandémie s’en mêle…

En raison de la pandémie de la COVID-19, les villes et municipalités ont été invitées à tenir leurs séances publiques à huis clos de mars à juillet afin d’éviter la propagation du coronavirus. Ces séances devaient être tenues par vidéoconférence ou au téléphone, et l’enregistrement de celles-ci devait être rendue publique aussitôt que possible.

Dans certains cas, les journalistes ont vu leur tâche encore plus compliquée par cette obligation d’envoyer leurs questions à l’avance, sans pouvoir renchérir ensuite sur la réponse fournie par l’élu.

Dans d’autres cas, le travail des journalistes s’est trouvé facilité par la mise en ligne des enregistrements des séances des conseils municipaux, particulièrement pour ceux qui se retrouvent généralement avec plusieurs rencontres au même moment. La mise en ligne des procès-verbaux, dans leur version préliminaire, dans les jours suivant les rencontres, plutôt qu’à leur adoption le mois suivant, a aussi offert plus d’information.

Depuis juillet, les municipalités sont toutefois libres de rouvrir les portes des hôtels de ville à un nombre limité de citoyens, ce que certaines ont choisi de faire. D’autres poursuivront encore quelques mois à huis clos, le temps que la pandémie disparaisse.

Restez informé(e), rejoignez la liste d'envoi des AMIS

Requis

Vous êtes à deux pas de compléter votre profil.

Requis
Requis
Requis
Requis
Requis
Défendons ensemble nos intérêts culturels et économiques.