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La Silicon Valley contre le Parlement du Canada - Daniel Bernhard

La Silicon Valley contre le Parlement du Canada - Daniel Bernhard

Écrit par
Le Devoir
le
17 septembre 2018

Dans cette lettre ouverte, Daniel Bernhard affirme que la domination des géants du Web n'est pas une fatalité, mais une charge contre notre démocratie dont il faut se défendre.

Le Devoir

Les empires technologiques de la Silicon Valley dominent nos vies, sur le plan tant social qu’économique.

Mais, au fond, leur pouvoir repose sur une chimère de l’innovation voulant que ces compagnies soient différentes de tout ce que le monde a jamais connu. Si c’était effectivement le cas, ces compagnies seraient peut-être en droit de réclamer une exemption des lois et des règlements antérieurs. Mais en réalité, elles sont loin d’être aussi uniques qu’elles le prétendent, et leur insistance à esquiver nos lois et nos règlements est une charge directe envers notre démocratie.

Depuis trop longtemps, les gouvernements canadiens de toutes allégeances ont allègrement joué le jeu de cette chimère.

Pourtant, il se pourrait que le vent tourne.

Récemment, le chef du NPD, Jagmeet Singh, annonçait un ensemble de mesures politiques qui contribueraient largement à restaurer la souveraineté démocratique du Canada face à ces compagnies étrangères et à leurs actionnaires. En bref, le NPD soutient que les géants du Web devraient connaître le même traitement que toutes les autres compagnies. Ils devraient, tout comme les autres, percevoir les taxes de vente, payer de l’impôt sur le revenu des sociétés, suivre les mêmes lois et règlements.

M. Singh a fait une promesse d’une grande importance en s’engageant à colmater la brèche fiscale qui permet aux annonceurs canadiens faisant affaire avec des groupes tels que Google et Facebook de réclamer 1,3 milliard de dollars en avantages fiscaux : des avantages fiscaux censés être destinés aux compagnies plaçant leurs annonces auprès de médias canadiens qui enrichissent notre société et protègent notre démocratie.

Nonobstant la décision du gouvernement québécois, appuyée à l’unanimité par tous les partis de l’Assemblée nationale, de forcer Netflix à percevoir la TVQ, ce qui frappe le plus avec la proposition du NPD est qu’elle paraît si radicale en comparaison du statu quo.

Rares sont ceux qui s’opposeraient à ce que toutes les compagnies soient égales devant la loi. Pourtant, le consensus politique actuel produit le résultat inverse : un système à deux vitesses au sein duquel les compagnies canadiennes sont soumises à la volonté du Parlement alors que les géants étrangers du Web sont autorisés à jouer selon leurs propres règles.

Dans 1984, Orwell dépeint l’ultime conquête du totalitarisme avec des personnages qui en sont venus à croire que « la guerre, c’est la paix, la liberté, c’est l’esclavage, l’ignorance, c’est la force ». C’est précisément ce type de langage absurde que la chimère de l’innovation normalise afin de maintenir son pouvoir. « L’économie de partage » n’implique aucun partage. « Les réseaux sociaux » confèrent du pouvoir aux éléments les plus antisociaux de notre collectivité.

Au-delà de l’image de marque redorée à coups d’euphémismes, il s’agit d’un contournement de notre pouvoir, en tant que démocratie, de choisir les lois et règlements qui régiront notre pays.

La Silicon Valley veut nous faire croire que ses hôtels ne sont pas des hôtels, que ses taxis ne sont pas des taxis, que ses radiodiffuseurs ne sont pas des radiodiffuseurs, que ses éditeurs ne sont pas des éditeurs. Pourquoi ? Parce que les hôtels, les taxis, les radiodiffuseurs et les éditeurs sont d’une importance cruciale et, conséquemment, hautement réglementés ; il semble que la Silicon Valley préfère éviter les inconvénients dispendieux tels que les normes de sécurité, la politique culturelle ou la loi contre le discours haineux.

L’essentiel tient à une simple question : déciderons-nous comment diriger le Canada, ou céderons-nous ce pouvoir à des sociétés technologiques étrangères irresponsables, prêtes à affirmer une chose et son contraire pour s’enrichir ?

Le droit canadien déterminera-t-il ce qui peut être publié à vaste échelle, ou céderons-nous ce pouvoir à Facebook et accepterons-nous plutôt d’être régis par ses « standards de la communauté » ?

Le droit canadien déterminera-t-il la politique culturelle et fixera-t-il les normes des radiodiffuseurs, ou céderons-nous ce pouvoir à Netflix en nous contentant d’espérer que des histoires de chez nous seront portées à l’écran ?

Avec sa proposition de mettre fin au traitement de faveur octroyé aux monopoles de l’Internet, le NPD présente un nouveau discours qui vient contrer celui de la chimère de l’innovation. La domination absolue des géants du Web n’est pas inévitable. D’autres pays ont choisi d’écarter cette chimère, et nous le pouvons aussi. Nous pouvons récupérer notre démocratie, si c’est ce que nous choisissons.

J’espère sincèrement que les autres partis au Parlement feront ce qui est juste. Ils peuvent agir de concert afin d’affirmer la souveraineté culturelle du Canada face aux monopoles de la Silicon Valley, qui semblent préférer se positionner hors et au-dessus de la loi, protégés de la volonté du peuple et de notre Parlement.

Fixerons-nous les règles, ou laisserons-nous des compagnies étrangères mener le jeu ? C’est une question existentielle. Pour moi, le choix est simple. L’une des options se nomme démocratie. L’autre, non.

© Le Devoir

Dans cet article
Défendons ensemble nos intérêts culturels et économiques.
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